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Il parait qu'au loin on aperçoit la mer.

11 avril 2007

DERNIERE MISE A JOUR : 01/05/08 (J'aimerais

DERNIERE MISE A JOUR : 01/05/08

po_sie

(J'aimerais beaucoup votre avis sur la chose, merci.)
(Si vous voulez êtres prévenus quand j'écris la suite, laissez votre e-mail dans les commentaires.)

ACTE I

SCÈNE 1


Une pièce presque vide, une chaise en son centre avec une assiette ou deux posées dessus. Elsa arrive en traînant des pieds, elle tient une lettre à la main et porte une robe légère.


ELSA criant _ Mon chéri, où es tu ? je voudrais te parler.
COLIN une voix quelque part _ Je suis occupé, plus tard.
ELSA dans un murmure _ Mais c'est très important. Elle enlève les assiettes de la chaise, les pose par terre et s'assoie sur la chaise. Elle regarde la lettre, et remue ses lèvres ; elle lit mais on ne l’entend pas. Le noir se fait progressivement, Elsa secoue un peu les épaules, on ne sait pas si elle rit ou sanglote.


SCÈNE 2


Même pièce., Elsa arrive en sautillant légèrement, de bonne humeur et en riant. Siméon la suit, essayant de l'attraper, de l'embrasser. Leur jeu est un peu bruyant et dure quelques minutes. Soudain, un grincement de parquet.

ELSA  se figeant d'un coup, l'air appeuré _ Chut.
SIMÉON l'embrassant enfin _ Que se passe-t-il mon amour ?
ELSA inquiète _ Je crois qu'il arrive.
SIMÉON en profite pour la prendre dans ses bras, elle reste de marbre _ Tu me disais qu'il était toujours occupé.
ELSA sors de son emprise, gesticulant dans tous les sens _ Presque toujours, alors. Dépêche toi de te cacher.
SIMÉON qui s'amuse de son manège _ Je veux bien mais où ça ?
ELSA _ Je ne sais pas, sois original mon chéri.
SIMÉON _ Je vais faire le mort ! Et il se couche à plat ventre dans un coin de la scène. Arrive Colin, l'air grave, avec une barbe de plusieurs jours.

COLIN souriant avec peine _ Me voilà, que voulais-tu ?
ELSA feignant l'indifférence _ Oh, je ne sais plus trop, il est un peu tard, j'ai du oublié.
COLIN _ Je peux remonter ? Il n'attend pas la réponse et commence à partir.
ELSA s'affolant un peu _ Je me souviens ! Attends. Elle sors d'une poche la lettre et commence à lire. Ma chère Lisa, vous me manquez atrocement, ici le goût des choses a perdu sa saveur, le vent ne parvient plus à rafraîchir les souvenirs, il a fini par les envoyer en miettes. J'aimerais tant vous revoir, je m'ennuie beaucoup, ma femme croit que je travaille à mon livre toute la journée mais je ne fais que penser à vous, Colin arrache la lettre et la regarde de haut en bas. Elle défie son regard.
COLIN _ Tu n'as pas le droit de fouiller dans les affaires de mon bureau.
ELSA _ Tu n'as pas le droit de me mentir, ni de me tromper.
COLIN _ Tu m'ennuies tellement qu'il faut bien que je m'occupe.
ELSA _ Si tu ne passais pas tes journées dans ta prison, on pourrait s'amuser un peu plus.
COLIN l'air las d’un coup _ Les disputes me fatiguent, mon cœur, soyons raisonnable, oublions cela. Il la prend dans ses bras. Elle résiste et hausse la voix.
ELSA _ J'en ai marre de ta lassitude permanente, comme si le monde autour de toi n'existait pas. Je n'en peux plus de te savoir mort à l'intérieur à cause de quelque chose qui m'échappe ! Elle ramasse les assiettes par terre, la scène devient ridicule, elle balance la première à ses pieds. Moi aussi je déteste les disputes idiotes mais tu ne fais rien pour les empêcher. Elle jette la deuxième, va vers Siméon, le relève et part avec lui. Colin, étonné de voir le mort revivre, s'assoit sur la chaise et lit à voix haute la lettre qu'il a écrit.
COLIN _ Ma chère Lisa, vous me manquez atrocement, ici le goût des choses a perdu sa saveur, le vent ne parvient plus à rafraîchir les souvenirs, il a fini par les envoyer en miettes. J'aimerais tant vous revoir, je m'ennuie beaucoup, ma femme croit que je travaille à mon livre toute la journée mais je ne fais que penser à vous, je n'arrive plus à écrire sans que mes histoires ne tournent autour de la notre, si brève et si intense. J'espère que vous pensez encore à moi quelque fois. Je vous embrasse, Colin. Il relève la tête. Elle n'a pourtant pas pris la pire, celle là n'est qu'une ébauche qui n'est même pas fini. Haussement d'épaules et noir.


SCÈNE 3


Un bureau a été installé, il n’est pas très rangé, des feuilles sont éparpillées un peu partout, même au sol. Elsa y est installée, elle a entre ses mains des feuilles, qu’elle lit et qu’elle déchire ensuite.

ELSA _ Ma chère Lisa, je pense à vous geste Tendre Lisa, je n’arrive pas à dormir, vous occupez mes insomnies geste Très chère Lisa, mes souvenirs me torturent l’esprit geste Lisa, ne m’en voulez pas de ces ratures ; les mots ne parviennent pas à exprimer mes pensées et se bousculent hors de la plume de peur que le silence revienne hanter le trou que vous avez fait à mon cœur. Je voudrais tellement que tout soit simple, mais je sais que l’ardeur de la passion en serait moins forte, alors je souffre tranquillement, sachant  la beauté de la distance qui nous sépare et la beauté du chagrin qui coincent nos paroles abstraites derrières nos dents. Celles-ci claquent si fort à cause du froid qui s’engouffre partout en nous, trouvant les failles et les fissures que le temps a percé, que la nuit en semble floue. Pardonnez mes phrases trop longues qui n’en finissent plus, je vous aime. Silence. Je vous aime, Colin. Colin est entré depuis quelques minutes et observe Elsa qui pleure, sans rien dire. Il s’approche et la prend dans ses bras, elle se laisse faire. Colin prend place sur le fauteuil, Elsa sur les genoux.

COLIN _ Lisa n’existe pas. Lisa n’est que le fruit de mon imagination tortueuse. Lisa, Elsa, je suis perdu dans les méandres de mes songes depuis trop longtemps, tu as eu raison de tout déchirer, je n’aurais pas eu le courage de supprimer cet amour frivole qui habitait mon esprit. Elsa, Lisa n’est qu’une seule personne, je crois, entre ce que je voudrais que tu sois, ce que tu n’es pas et ce que tu sembles être. Je suis mort à l’intérieur parce que j’ai vieilli bien trop vite, le temps passe, invisible, les yeux s’éteignent et on s’en aperçoit trop tard. Je suis mort quand j’ai senti que tes lèvres n’avaient plus le même parfum, peut-être que j’étais déjà devenu trop sérieux et que je t’ennuyais un peu, je comprends que tu avais besoin de te changer les idées avec d'autres personnes plus gaies, tu es si belle et légère, tu sais, je ne t'en veux pas. Sa voix n'est plus qu'un murmure, Elsa ne pleure plus et le regarde, étonnée. Colin lui nettoie un peu le visage, ils s'embrassent doucement. Noir


SCÈNE 4


Même pièce, lumières très sombres, les deux personnages sont toujours à la même place et semblent endormis. Une ombre qui ne fait aucun bruit se promène sur la scène, on l’aperçoit à peine. Elle s’approche du couple, tapote l’épaule de Colin qui se réveille brusquement. Il se frotte les yeux, paraît étonné, la silhouette lui met un doigt sur les lèvres en regardant Elsa.

COLIN murmurant _ Lisa ?

L’ombre lui fait un grand sourire et s’enfuit en courant, toujours sans un bruit. Noir.

SCÈNE 5


Retour à la première pièce, Elsa ramasse des morceaux d’assiettes, on frappe un peu à la porte. Elle va ouvrir, c’est Siméon, en colère.

SIMÉON _ J’espère que tu ne vas pas croire tout ce que te raconte ce poète maudit. Il en aime une autre, tu ne peux pas le nier.

ELSA très calme _ Il a dit qu’elle n’existait pas, je n’ai pas tout compris, tu sais, avec ses grands mots il m’embrouille un peu, mais il n’a pas envoyé toutes ces lettres, ça prouve bien qu’il n’y a pas de destinataire.

SIMÉON _ C’est encore pire si cette Lisa n’existe pas, c’est un fou qui s’imagine des histoires d’amour dans son bureau parce qu’il n’arrive pas à se satisfaire d’un ange comme toi, mon amour.

ELSA _ Nous ne sommes pas assez intelligents pour le comprendre, ça ne fait pas de lui un fou. Je ne veux pas que tu aies des pensées méchantes à son égard,  tu ne connais pas toute notre histoire. Nous avons été maladroits l’un et l’autre avec notre passion soudaine, on ne savait pas trop quoi en faire, je t’en ai offert un peu et lui, il a utilisé son talent pour s’en défaire aussi, rien de mal. Et ne répète pas que c’est un poète maudit.

SIMÉON gesticulant et un peu ridicule _ Alors je ne suis qu’une sorte de pot, où tu déposes l’amour dont tu ne sais pas quoi faire ? Je suis un débarras pour les amours débordants, bonjour, vous avez besoin que je vous enlève un peu de votre poids, mais je vous en pris madame, je suis là pour ça. Quand je serais un peu trop rempli, j’irais me trouver une jolie poubelle pour y jeter l’amour que j’ai en trop, tu vois où ça mène, toutes tes bêtises ? Une chute perpétuelle de couples qui vont voir ailleurs. Je ne sais pas moi, tu aurais pu t’acheter un chien ou quelque chose dans le genre, ou bien tu demandais à ton mari de te faire un enfant, en voilà une bonne idée, tu saurais à qui le donner, ton amour qui ne te sert pas, puis ça ne fera pas d’histoires embêtantes qui nous tombent sur les bras alors qu’on les pensait en équilibre au dessus de nos têtes.

ELSA timidement _ Tu vas partir pour ne plus jamais revenir ?

SIMÉON _ C’est ce que tu voudrais ?

ELSA _ Non, bien sûr que non. Je m’amuse bien avec toi, j’existe un peu plus que quand je suis avec Colin, j’ai les yeux qui brillent d’ivresse, de joie de vivre, ces choses là qui font qu’on est heureux. Mais je ne t’aimerai jamais comme je l’aime lui, ce ne sont pas des sentiments qu’on contrôle, c’est un peu trop compliqué, on se sent mieux bien avec certaines personnes mais pourtant on les aime moins.

SIMÉON _ Je ne veux pas continuer à faire le mort, sinon je le deviendrais vraiment.

ELSA _ Ne dis pas des choses comme ça. Silence. Représente toi Colin comme un électron libre, son imagination n’a pas de limites ; il a l’infini dans la tête.

SIMÉON _ Tous ces mots pour un seul : la folie. Pourquoi ne veux-tu pas admettre que l’homme avec qui tu vis est fou ?

ELSA _ Pourquoi ne veux-tu peux accepter que nous sommes liés, que dans mon ventre tout se bouscule quand je pense à lui ?

SIMÉON _ Je ne cherche pas à comprendre la fous, cela demande trop de temps et je n’en perçois pas l’utilité. Mais je voudrais savoir pourquoi toi, ma douce, tu restes dans cette grande maison à t’amuser avec moi - seulement : nous pourrions fonder une famille et vivre pour de vrai !

ELSA _ Je vis. Silence. Essaie de voir dans mes yeux le reste de ma mémoire. Siméon s’approche et la regarde dans les yeux, noir.

SCÈNE 6


Un décor un peu flou, qui fait ressortir le fait que l’action se déroule dans le passé. Colin et Elsa sont seuls sur scène, ils ont l’air plus jeunes et tiennent une coupe à la main. Il y aura durant la scène un bruit de fond continu : des voix et de la musique de chambre. Le noir disparaît peu à peu et l’on comprend que Colin et Elsa ont déjà entamé leur discussion.

ELSA _ Et donc, vous êtes écrivain ?

COLIN _ En quelque sorte, oui. Je commence tout juste un roman.

ELSA _ Oh, c’est intéressant. Avez-vous déjà une idée du sujet ?

COLIN d’une voix très neutre _ C’est l’histoire d’un homme au cœur de bois.

UNE VOIX neutre _ La mer est calme, sur l’écran de la caméra. Apparaît au fond de la scène un drap où l’on voit la mer. Comme une ampoule électrique grillée dans un seau d’eau.

COLIN _ Il est sous les feux des projecteurs d’un soleil cassé, il a jeté son corps comme une ancre, comme un morceau de sucre et il s’est dissout.

Par dessus l’image de la mer se trouve une ampoule grillée qui représente le soleil, on voit un corps qui tombe dans l’eau et qui se transforme en ancre, puis en sucre. Au moment de la chute, on entend un seau d’eau qui tombe dans les coulisses, on peut apercevoir de l’eau qui coule sur la scène. Elsa reste muette, le temps semble figé. Tout le bruit alentour s’arrête et la pièce, qui était colorée, s’assombrit. Siméon arrive sur la scène, Colin restera immobile.

SIMÉON _ Je me fiche de tout cela, tout ce que je vois dans tes yeux, c’est que je suis de trop, j’encombre ta vie par un amour qui fuit vers la démesure, il prend trop d’espace et t’étouffe ; je ne souhaite pas vivre avec le but inconscient de détruire le fil invisible de votre union. Il commence à partir, en espérant qu’Elsa le rattrape. Celle ci ne fait rien, elle semble hésiter et finalement part de l’autre côté. Colin n’a toujours pas bougé. Noir.

SCÈNE 7


Siméon est dans le bureau de Colin, il fouille un peu partout rageusement. Il fait sombre.

SIMÉON _ Un homme ne peut pas écrire des lettres d’amour au vent, il ne peut que se baser sur des faits concrets et logiques. Ma pauvre Elsa est beaucoup trop naïve, il faut que je retrouve cette Lisa (en plus elle doit être drôlement jolie pour occuper l’infini de Colin) Il accentue sur le mot infini, il rit nerveusement, ses gestes sont violents. Personnellement, je me représente l’infini comme un long couloir vide alors forcement je rigole, cet idiot a le crâne vide et le prénom Lisa et tout ce que cela signifie ricoche contre les parois et résonne en lui. Il prend un lettre, marmonne - il lit et on peut entendre quelques mots. Il la déchire, en prend un autre, ect, le bureau en est encore rempli. Si j’étais cette Lisa, je m’ennuierai fort avec tous ces mots trop longs, la poésie c’est sympathique mais après il faut   agir. Les fleurs, ça regorge de poésie, puis l’émerveillement de la femme qui les reçoit aussi. Si on y pense, tous les gestes quand on aime sont emprunts de poésie, c’est terrible, il y a même un certain charme à se disputer. Je ne sais exactement quelle relation a Colin avec la femme imaginaire mais elle prendrais sûrement peur à la vue de cet amour, regardez le ! Il montre toutes les lettres.  Il rampe, éparpillé, c’est le grand amour désordonnée qui fait peur à tout le monde. Quand j’ai rencontré Elsa, elle se sentait seule, je l’ai fait rire et la poésie de son rire m’a chamboulé, il fallait que je l’entende le plus souvent possible, c’était devenu mon but. J’ai réussi à le tenir, jusqu’au moment où elle m’a raconté pour Lisa. Là, je lui ai avoué mon amour qui fait peur, je pensais : Tiens, elle va le quitter pour moi et l’on va être un couple heureux, les gens dans la rue envieront notre bonheur parce qu’il sera visible aux yeux de tous, forcément, il est tellement fort qu’on ne peut pas le garder pour nous. Il soupire et s’asseoit. Si ça se trouve, Elsa et Colin ont tout inventé de leur lien, ils avaient un désir tellement immense de rencontrer LA personne qu’avec un peu de champagne à un banquet se construit une ébauche de passion ; c’est facile de tromper la raison lorsque le désarroi de la solitude nous empare. Ils se sont juste emmêlés dans leur délire de destin, hasard, je ne sais pas. Pour moi l’abstrait est trop tordu, du brouillard dans les yeux, au secours j’ai oublié de savoir comme on vit. Ils ont tous trop peur, ces soi-disant artistes, de la réalité, ce sont des faibles qui n’osent affronter le concret de crainte de trébucher contre les problèmes de la société ou du quotidien. Ils sont là, ils ne font rien : ils tracent deux traits sur une toile, peignent un tableau tout bleu, écrivent des histoires au lieu d’en vivre.. et les gens sont spectateurs de tout cela, ils applaudissent, s’extasient de choses qu’ils ne comprennent pas mais ils font semblant, c’est à la mode, dans l’air du temps, on s’évade en admirant le vide. L’artiste, pour créer un truc nouveau et si possible sensationnel, cherche toujours à se défaire de son passé, il n’a donc pas d’identité. Il s’imagine messager de son époque, il se trouve très fort mais ne le montre pas, un artiste est forcément dépressif, alcoolique ou drogué, au choix. Je ne comprends pas l’utilité de l’Art : exprimer le Beau. Mais dans quel but ? ne peut-on pas laisser le beau à l’état naturel ? Une fleur, exemple simple, est une forme de beauté, on la voit, on la sent, on la touche, elle fait appel à nos sens ; alors qu’un tableau d’une fleur ne retranscrit que la forme et les couleurs. La beauté, la vraie, se trouve dans le sourire de l’aimée, dans la brise du vent, dans le crissement des feuilles mortes.  Elle ne se crée pas, elle existe, et toute tentative de duplication sera terne. Je ne comprends pas non plus l’écriture, c’est un mensonge entier, où est la spontanéité des paroles qui ne s’effacent pas ? Les écrivains sont des hommes-ratures qui effraient le monde, ils sont gris, moches, à vomir. L’homme-rature est une imposture huge comme ça ; personne ne peut tomber amoureux de lui : on aime juste ses jolies histoires qui n’existeront jamais ou qui seulement le pâle reflet de la vie. La vie se suffit à elle même. L’art tourne en rond, que ferons-nous quand tout aura été inventé ? L’Art est une blague, les artistes ont trouvé une solution pour ne pas se lever le matin, c’est tout. Après, on les excuse de tout parce qu’ils contribuent à l’enrichissement culturel du pays blablabla. Puis ils trompent leurs femmes avec une personne imaginaire et l’on déclare que ce sont des génies on trouve ça tout à fait normal, plus personne ne s’étonne, puisque ce sont des artistes ! Gestes violents. Il faut que je me calme pour fouiller plus minutieusement pour retrouver Lisa et prouver que les artistes sont des hommes comme les autres. Il ouvre quelques tiroirs, on le voit chercher énergiquement pendant quelques minutes. Il finit par s’asseoir et par bailler, il s’assoupit. La pièce devient encore plus sombre. Silence pendant quelques minutes, puis on voit la porte s’ouvrir : c’est la même ombre que la scène quatre, Lisa. Elle porte la même robe, et a toujours une démarche aussi légère. Elle s’approche de Siméon, le touche. On peut voir un sourire de satisfaction sur son visage. Siméon se réveille doucement et croise le regarde de Lisa, qui sourit encore plus.

SIMÉON _ Lisa ? la femme imaginaire ? Il est affolé, Lisa ne bouge pas et continue de sourire. Oh, Elsa, mon amour, si tu savais que. Lisa s’enfuit, légère, et Siméon se rendort. Noir.

SCÈNE 8


Retour à la première pièce, Elsa est en train de lire tranquillement dans un fauteuil. Siméon arrive en courant, il a l’air très content de lui. Elsa, par contre, ne semble pas heureuse de le voir là, elle s’arrête de lire.

ELSA _ Que viens-tu faire là ? Je croyais que tu te sentais de trop.

SIMÉON _ Écoute, j’ai beaucoup réfléchi et je ne peux pas te dire où ni comment mais j’ai rencontré Lisa. Il s’attend à ce que Elsa saute de joie.

ELSA _ Pourquoi tiens-tu tellement à me faire souffrir ? Je n’aurais jamais cru que tu oserais un jour me mentir sur quelque chose d’aussi stupide. Tu me déçois beaucoup Siméon, j’espère que tu en as conscience. Elle est vraiment blessée, entre la colère et les larmes. Siméon, lui, ne sait pas quoi dire ni faire. On a passé de très bons moments ensemble, jusqu’à ce que que tu te mêles de ma vie, ça ne te suffisait donc pas, tu attendais tout le temps autre chose de moi, tu pensais sans cesse à une autre vie pendant que nous passions du temps ensemble, avoue le, dis moi que j’ai raison !

SIMÉON _ Tu me reproches de trop t’aimer et d’avoir voulu te protéger d’un fou ?

ELSA _ C’est toi le fou maintenant, tu viens m’annoncer que tu as vu Lisa, j’allais reprendre une vie normale et tu arrives pour détruire les nouvelles bases de ma quiétude. Tu voudrais que je te plaigne de trop m’aimer à présent ? mais mon pauvre, je n’y peux rien ! Elle soupire un grand coup et dit calmement :  Alors maintenant tu vas sortir de cette maison et de ma vie par la même occasion, je te souhaite de bonnes choses à venir. Laisse moi en paix.

SIMÉON tout bas _ En paix dans une maison hanté. Il sort, Elsa se remet à lire mais on voit qu’elle n’est pas concentrée, peut-être qu’elle pleure. Noir, fin de l'acte.

ACTE II

SCÈNE 1


Elsa s’est assoupie dans le fauteuil, il fait sombre. Apparaît Lisa, toujours aussi légère avec sa robe blanche, fantomatique. Pendant qu’elle parlera, elle se déplacera, pourra s’asseoir en tailleur, mais toujours avec désinvolture et délicatesse.

LISA dans un murmure _ Vous ne comprenez pas, je ne veux pas qu’on m’oublie, elle insiste : on ne doit pas m’oublier, je veux rester dans les esprits, ne pas tomber dans un trou de mémoire petit rire j’ai la peur atroce de devenir absente, non transparente, non quelque chose d’autre. Les mots se perdent. Silence, elle hésite, ses phrases sont décousues et la rendent fragile. Je crois que pause le théâtre dans ma tête pause ne ressemble pas à la réalité. La confusion de mes souvenirs l’emporte, j’use du peu qu’il me reste pour garder le feu pause le feu qui brûle en moi. J’orchestre le jeu et les fantômes au bout de mes cils se glissent dans l’âme de ces pauvres messieurs par un regard. Elle ouvre grand les yeux en souriant. Mais je ne suis en aucun cas coupable, il ne faut pas croire les balivernes qu’on raconte de travers à cette fille. Elle montre Elsa d’un geste. La pause peur de la culpabilité me hante. Ça ne s'explique mais de toute façon je suis innocente, le procès est clos car il n’aura pas lieu : où est la preuve de mon existence ? Regardez, je suis comme Jésus, on veut croire en quelque chose pour tromper le vide dans nos ventre et j’apparaît. Elle s’asseoit et se cache derrière ses cheveux. Je voudrais ne pas disparaître pause je me soigne. Le noir se fait progressivement, mais Lisa recommence à murmurer. J’ai toujours eu peur qu’on me prenne pour quelqu’un d’autre, sans cesse je dois justifier mes actes et mes paroles, me trouver des excuses pour avoir une identité authentique. Je ne voudrais pas que les gens imaginent de travers ma personnalité. Je dépends de cette peur grandissante, sans elle je ne suis rien, je me construis d’après les autres. Silence. De toute façon, la poésie ne me touche que par les gestes. Je veux dire pause les phrases-labyrinthe ne m’intéressent pas, j’ai toujours préfèré la tendresse des fautes d’orthographe, une sorte de désinvolture dans l’écriture qui donne une fragilité légitime à la personne. Tel un petit garçon. Lisa se lève et recommence à déambuler dans la pièce. Je ne peux pas parler de mes enfants sans avoir peur qu'ils existent un jour. Je veux dire, ça ne serait pas très sain pour eux et cohérent pour les gens. Les gens ont souvent du mal à comprendre, je pense vraiment qu'ils s'y forcent, ils ne veulent pas admettre ce qui déborde de leur routine honnête. Je connais déjà par coeur mes enfants, je ris de leurs bêtises comme si j'y participais, vous savez sans savoir si notre rire est franc, un peu comme si l'on vivais à reculons l'action en devinant à l'avance le résultat. Mes enfants seront des adultes responsables, et ils iront à la mer noyer les pas perdus. Je ne peux survivre à leur mort, voilà pourquoi je les abandonne tout le temps. La nuit, je borde mes yeux en leur lisant des contes vagues, confus, abstraits, flous, obscurs et le noir les rattrape sans violence. Elle se rasseoit au même endroit et soupire. Noir.

SCENE 2


Elsa se réveille doucement, Lisa est assise contre le fauteuil et pleure.

ELSA calme, s’exprimant d’un ton plat, rêveur _ C’est donc vous Lisa ? La femme qui hante le cœur des hommes et chamboule leur raison. Sincèrement je vous imaginais plus jolie mais bon, tout cela m’échappe.

LISA entre ses sanglots _ Je ne me contrôle pas je ne me contrôle pas je ne me contrôle pas, ayez pitié de moi Seigneur

ELSA _ Amen.

LISA _ Merci. Vous savez l’angoisse qui vous frappe c’est insaisissable. Souvent je la sens qui monte et tout s’écroule à cause de la lucidité : le fait de savoir ce qui arrive, sans pour autant le comprendre, ça vous tue des hommes.

ELSA s’énerve _ Mais pourquoi faites-vous tout ça ? Vous ne pouviez pas aller ailleurs, je ne sais pas, s’agit-il d’une sorte de punition, ai-je fait quelque chose de mal ? Oh, je suis perdue perdue. Quelqu’un peut-il me sauver ?

LISA _ Personne ne saute, personne ne s’engage.

ELSA _ Je voudrais y croire, ou non le contraire. Je me demande simplement, Lisa, pourquoi moi et pas une autre ?

LISA _ Écoutez madame, je n’y suis pour rien, c’est à cause de l’amour et de l’absence des corps. Elle se lève et s’en va lentement.

ELSA s’énerve encore _ Mais vous n’en avez pas assez, tous là, de mentir continuellement ? La quête de la vérité, ce n’est pas votre affaire apparemment. Non, je comprends, il y a mieux à faire. Pour ma part, je dois l’admettre, je me déguise en petite fille et le monde m’appartient presque. Cessez de mentir, je voudrais comprendre. S’il vous plaît, débarrassez vous de vos mensonges. Les miens ? Non merci, on ne peut pas avouer n’importe quoi à n’importe qui. Il y a des choses qui ne se disent pas. Silence, Elsa doute. D’accord. Silence. Ma rencontre avec Colin, c’est un arrangement commun, la passion ça n’existe pas. Colin est un vieux monsieur qui ennuie le monde avec ses phraaaases qui s’allongent qui s’allongent. Certes, il est propre sur lui, mais la solitude qui partout l’accompagne a trop d’ampleur. Elle vous dévore, sa solitude, elle ouvre ses grands yeux noirs même jeu, Elsa ouvre grand ses yeux et s’engouffre en vous. A cet instant le froid s’empare de votre corps et plus rien ne dure. Les gens qui traînent ainsi leur monstre de solitude, telle une ombre, ne devraient pas autant s’étaler chez les autres, ça vous tue des hommes. Silence. Pour Siméon, c’est différent, mon ennui débordait comme ça, et ressemblait sans doute à de la tristesse. Curieux mélange pour tomber d’amour. Tout le monde a des circonstances atténuantes. Siméon est un amusement, il en faut pour vivre sinon le temps s’arrête et c’est la mort. Ce n’est pas sain de connaître les gens, on s’attache obligatoirement d’une façon ou d’une autre ; leur douleur nous transperce et on meurt. Silence. La vie a des contraintes qu’une fois comprises, plus aucun risque de chutes. Mais les failles se dessinent à force de faire semblant, on se prend au jeu en voulant y croire et c’est la fin. Ça me surprend parfois comme je ne me reconnais plus : je ne me ressemble pas à cause du corps qui s’étire en larmes. Tout s’embrouille, mon identité se perd entre mes sursauts de lucidité, atroces moments de vérité. Je ne voudrais pas les connaître pour m’abandonner à une existence quelconque. Noir.

SCENE 3


Colin arrive seul sur scène avec un ballon.
COLIN _ Voilà enfin quelque chose pour rebondir, messieurs dames. Je m’habille d’absence, attendez moi. Il sort de scène quelques instants puis revient. En vérité, je ne voulais pas trop souffrir de la misère des pauvres, ni m’attarder sur ma sensibilité grandissante, alors je me suis procuré un masque -charmant-, voyez il se creuse parfaitement pour s’insérer en moi, je ne crains plus rien, essayez donc de m’abattre de vos pathétiques tristesses maintenant. Siméon arrive un revolver à la main. La déraison ancrée dans ses gestes, le regard défiant les ombres. Il s’avance, marche sur le ballon et s’écroule en un bruit sourd. Voilà je suis le maître du monde, froid insipide à haïr. Quel drame de vouloir combattre la passion. Elsa arrive affolée, voit Siméon et court vers lui. Le problème de toute cette mascarade, c’est que je ne ressens plus le froid le vent  la nuit dans mon ventre. Une fois, Lisa l’a arraché et un hurlement m’a déchiré. Juste en un instant je redevenais un vieux monsieur fragile. Elsa pleure, se relève et commence à frapper ridiculement Colin avec ses petits poingts, tout en marmonant C’est de ta faute, tout est de ta faute, je te déteste, etc. Colin, impassible, continue à parler. Je connais ces sanglots : ils annoncent le désespoir de feu l’amour. Silence. Il n’y a plus d’histoire. Les gens s’occupent seulement de leurs chagrins, ils s’enferment dans leurs désespoirs qui s’emmèlent entre eux, et ne trouvent plus le temps du grand partage de la douleur. On se recroqueville en parlant à nos pauvres émotions qui mènent entre elles une rude guerre, tout bas de peur que quelqu’un vienne déranger le calme construit à l’instant. Il nous faut organiser cette armée de sentiments pour attaquer les gens du récit de nos aventures émouvantes à pleurer. Alors leurs faiblesse cherrons sous nos yeux, en désordre pour plus de fragilité - plus d’authenticité ? - afin de porter le coup fatal : l’amour ! Silence. Elsa peut se trouver aux pieds de Colin ou alors auprès de Siméon. Avez-vous remarquez comme tout le monde en parle, de l’amour ? Je pense sérieusement qu’il faudrait interdire d’en discuter si ouvertement, car, son emploi malmené entraîne une forte chute de l’espoir. Je m’explique pour les honnêtes hommes : nos tendres enfants entendent partout le récit de nos amours intenses merveilleux déchirés etc mais leur a-t-on dit que ce n’était qu’un vague mensonge, la passion n’existe que dans notre invention - oh il faut que je respire ! - qui déborde parfois un peu dans la réalité, nous sommes d’accord, mais, si on l’attend nous sommes perdus. Lisa défile avec un panneau où l’on voit d’écrit : LA PASSION DANS VOS TÊTES REFLETE LA FOLIE DANS VOS YEUX. Lorsqu’elle voit Siméon à terre, elle lâche le panneau et se rend vers lui. Elsa la voit, même manège que précédemment avec Colin. Lisa pleure peut-être aussi et les deux s’enlacent. Enfin des gens qui se livrent au don de soi ! Il les rejoint et ils s’enlacent tous.

SCENE 4


On retrouve Colin et Elsa enlacéss mais Lisa n’est plus avec eux, disparue. Siméon est toujours à terre, Elsa pleure.

ELSA _ je ne comprends plus rien, je suis complétement perdue je voudrais que cesse toutes mes pensée me détacher de tout ça je me glisserai dans un corps étranger personne pour me reconnaître et je pourrais devenir quelqu’un, est-ce que tu comprends que naît un désert en moi et j’ai peur. Colin hoche la tête. J’ai besoin de repos, m’extraire. Je ne comprends rien de toute cette histoire d’où ellle vient pourquoi comment s’en débarrasser. Silence. Tu m’as menti en disant que Lisa n’existe pas.

COLIN _ Elle n’existe plus. Elsa se détache de Colin en colère.

ELSA _ Comment ? Non, tais toi, arrêtes de discourir, ta seule arme au final ce sont les mots. Je ne veux plus t’entendre.

COLIN _ Ecoute, Elsa se bouche les oreilles et crie, elle marche autour de Colin. Tu n’es responsable de rien, tu ne devais pas découvrir cette lettre. Si tu le souhaite, nous pourrions partir quelques jours, à la mer ! Oui je sais que tu as toujours voulu aller à la mer, il ne doit pas y avoir trop de monde à cette période de l’année, nous serons tranquilles ma chérie. Et puis,  peut-être pourrions-nous trouver une jolie maison au bord de la plage et feindre le nouvel et heureux amour. La maison sera confortable, sans aucune porte, aucun secret. On aura un jardin, avec un potager, tu t’occuperas des confitures et j’irais sur le marché le dimanche vendre nos légumes. Ça sera parfait, j’avancerais dans mon roman. Oh, je vois déjà nos enfants courir après l’école pour aller se baigner, tu leur apporteras leur gouter. Elsa  arrête de crier, prend le revolver de la main de Siméon, et le pointe vers Colin.

ELSA _ Ne parle pas des enfants que nous n’aurons jamais. Il va falloir que tu trouves quelqu’un d’autre pour tes projets formidables, mon petit chéri, car vois-tu, je m’en vais. Elle commence à partir, puis se retourne. Oh, tu peux demander à Lisa, fermes les yeux et frappes dans tes mains, elle apparaîtera. Elle repart en riant, Colin la suit, la rattrape, bousculades, on entend un coup de feu, Elsa tombe dans les bras de Colin. Noir.

SCENE 5


Elsa est allongée dans un canapé, Colin à ses côtés, nerveux.


COLIN _ Ça va aller mon amour, un médecin devrait bientôt arriver. As-tu besoin de quelque chose ? Je t’ai apporté de l’eau, veux tu un coussin en plus ?

ELSA parlant avec difficulté _ Vas-t-en, s’il te plait. Colin s’en va, Elsa soupire, puis il revient avec une petite cloche.

COLIN _ Voilà, si tu as besoin de n’importe quoi. Il l’embrasse sur le front et repart. Noir.

SCENE 6


Elsa dort, agitée certainement fièvreuse. La pièce est sombre, Elsa marmonne des paroles incompréhensibles. On entend soudain quelqu’un qui frappe des mains. Lisa apparaît.

LISA _ Oui ? Ecoutez, je n’aime pas beaucoup les plaisanteries hasardeuses. Je ne veux pas prétendre que je ne suis pas disponible : je n’aime pas me déplacer pour rien, surtout quand les choses sont déjà réglées. Dites-moi où est l’ennui ici ? Je pense avoir fait le nécessaire pour l’existence de la passion, j’espère un remerciement un jour. Sans moi, les couples se meurent de routine et même si ma présence est quelque fois fatale à des amants imprévus, j’aimerais qu’on reconnaisse le mérite de la cause pour laquelle je me bats. Dois-je justifier mes actes ? Il me faudrait un soutien moral parfois, pour ne pas sombrer dans la facilité, mais que voulez vous, la raison est recommandée partout : on sort de chez soi et c’est elle qui dirige tout. Laissez moi la place de respirer ! Je suis obligée d’agir dans les extrèmes pour que l’on me remarque. J’en suis sincèrement désolée. Elle soupire et s'assoit au bord du canapé, elle chantonne un peu.

ELSA _ Le silence des amours absents me hante.
LISA _ Des amants sans visage,
ELSA _ charmants jeunes hommes,
LISA _ se bousculent au creux de mon ventre noir.
ELSA _ J’assiste à leur mort ; la perte,
LISA _ l’indifférence,
ELSA _ les avale dans la pénombre.
LISA _ Ces ombres se poursuivent inexorablement sous le poids de mon chagrin
ELSA _ de mes sanglots.
LISA _ ô la tendresse de l’amour, ô la volupté de la fuite
ELSA _ Mes yeux tombent, les chimères
LISA _ la brume
ELSA _ se révèlent sous mes paupières,
LISA _ elles entament alors une danse tortueuse
ELSA _ clandestine
LISA _ et enveloppent ces amants dans l’oubli. Le noir s’est fait progressivement, on discerne encore quelques ombres mais on ne sait plus qui parle.

ELSA / LISA _ Instable instable petite chérie instable. Il me suffit d’un détail pour sombrer à nouveau. Il faudrait que je ne m’attache plus aussi facilement aux gens pour éviter les souffrances inutiles et pouvoir m’enfuir sans risque de manque atroce et de regrets effroyables. Oh, le manque qui déchire tout instant rappelant vaguement le tendre passé, basculer alors dans la mélancolie amère, sombre désespoir infini.

ELSA / LISA _ Fou tous ces fantômes en mon coeur troué, fou comme ils s’engouffrent partout en moi, fou comme ils heurtent l’absence, fou comme ils comblent le vent, fou l’humanité dépourvu en mon ventre, fou comme le monde tournoie distant de mon corps étranger, fou comme le temps s’étire en silence. Un long silence puis une quinte de toux de plus en plus violente. Lisa allume une petite lampe et secoue Elsa. Elle hausse les épaules et s’en va. Une lumière étrange se fait. Colin arrive avec une chaise, tel un somnambule et s'assoit sur sa chaise au milieu de la pièce. Tout ce qui suit sera joué dans une sorte de torpeur. Elsa se lève et s'assoit sur les genoux de Colin, elle se déplacera autour de lui, mécaniquement.

ELSA _ Mon petit cœur, pourquoi es-tu tout gris. Pourquoi tout est gris, entièrement gris. On s’y perd. Un temps. Peut-être est-ce les gens morts les plus authentiques, ils ne mentent pas. Le silence n’a jamais menti. Je suis forte en silence. Long silence, Elsa joue avec le corps de Colin comme une marionnette. Comme on s’ennuie ! Combien de temps dans toute une vie on attend l’instant d’après ?

COLIN _ Toute une vie.
ELSA _ C’est tout de même triste.
COLIN haussant les épaules  _ C’est comme ça.
ELSA _ La fatalité c’est l’excuse facile des lâches : non non ce n’est pas de ma faute je ne peux rien contre ce qui m’arrive c’est le destin.
COLIN _ Pourquoi pas ?
ELSA haussant les épaules _ Bof, ce serait triste.
COLIN _ Comme une fleuve sans tempête.
ELSA _ Oui, ce serait triste, une attente encore plus longue que toute une vie. Pourquoi crois-tu qu’on danse la pluie ?
COLIN réfléchit un instant _ Pour les récoles ?
ELSA _ Mais non idiot, pour l’orage. Grondement terrible et lumières affolées, le noir complet pendant un instant et finalement on retrouve Elsa sur le canapé, la petite lampe allumée, Colin a disparu mais la chaise est toujours là. Lisa revient et s'assoit dessus en soupirant.

LISA _ Je dois porter le malheur à l’intérieur de mon corps, je m’ouvre, non on me bouscule et ça me fissure de partout et il s’échappe. Soupir.  Que faire ? Je suis à faible à toujours construire des ponts, je ne fais plus ça : construire des ponts pour les autres. Et moi ? Je suis un pont aussi ! Elle s’extasie, frappe dans ses mains. Fabuleux, je suis ma propre création. Elle sourit en silence puis redevient sérieuse. Que faire que faire que faire ? Tu n’aurais pas une idée par hasard, Elsa ? Lisa se retourne, va vers Elsa, la secoue encore un peu, la déplace jusque dans les coulisses, puis prend sa place dans le canapé. L’improvisation, il n’y a que ça de vrai dans la vie. Elle secoue la clochette. Amen. Noir, fin de l’acte.

ACTE III

SCÈNE 1


Colin et Lisa sont assis dans deux transats, dos au public ; on entend la mer, peut-être voit-on du sable sur la scène.


COLIN. Ce qu’il fait bon !
LISA. Meilleur qu’hier en tout cas.
COLIN. Je suis tellement heureux d’être ici avec toi, ma douce. Nous avons vraiment fait le bon choix.
LISA. Oui, ici nous sommes tranquilles.
COLIN. C’est ce qu’il nous fallait. Un temps. Tu ne vas pas te baigner ?
LISA. Oh pas encore, il fait trop froid à cette époque de l’année.
COLIN. Dans une semaine, je pense qu’il fera assez beau pour nager un peu. Un temps. La petite dort ?
LISA. Oui, c’est une enfant très sage.
COLIN. Bien. Long silence, la lumière baisse, apparaît Elsa et Siméon, fantomatiques.

ELSA. Tu vois, ils sont là, je te l’avais dit.
SIMÉON. Et alors, tu comptes les suivre toute ta vie ?
ELSA s’arrête et le regarde. Veux-tu éviter d’employer des expressions qui ne nous concernent plus.
SIMÉON. Tu m’as très bien compris.
ELSA hausse les épaules. Que cela doit être bien, allongée ici (elle s’allonge) sans contrainte, sentir une douce brise te caressant le visage, puis parcourant malicieusement tes cheveux, la mer à tes pieds, roi du monde. Un temps, Siméon s’est assis à ses côtés. C’est de ta faute si je ne suis pas à sa place.
SIMÉON soupire. Tu ne vas pas recommencer, enfin. Colin t’avait proposé de partir avec lui, tu t’es moqué en lui disant d’emmener Lisa. Hé bien voilà, à tes souhaits. Un temps. Et puis, pourquoi n’y aurait-il pas de coupable ?
ELSA. Il faut bien déverser son chagrin sur quelqu’un, sinon on se noie avec.
SIMÉON rigole amèrement. Après le débarras d’amour, le débarras de sanglots. Je suis vraiment pratique comme type. Je ne devrais me faire payer, tu ne crois pas ?
ELSA sourit et l’embrasse amicalement. Si.
COLIN. N’empêche, je ne vois pas ce que tu lui trouve à cette vie. Ça te passionne, la météo ?
ELSA. Beaucoup oui. Comment savoir la tenue du lendemain sans elle ?
SIMÉON. Tu es forte pour ne pas répondre aux questions.
ELSA. Oui, il paraît.
SIMÉON. Avoue-le, regarde bien : c’est l’ennui terrible ici, non ?
ELSA. Mais non, c’est de la sa-tis-fac-tion. Noir.

SCÈNE 2


Colin et Lisa n’ont pas bougé, Elsa et Siméon ne sont plus là, même lumière sombre.


LISA se retourne, face au public. Qui parle d’ennui ? (plus fort) Qui parle d’ennui ?! Je ne suis absolument pas d’accord, il n’y a pas d’ennui, il ne nous submerge pas du tout, non, on effleure une douceur charmante. De toute façon, je ne pourrais supporter encore une fois tous ces fils qui s’étranglent, on ne contrôle rien alors autant laisser les choses affronter le temps elles-mêmes. Je suis trop maladroite, pourquoi parlez vous d’ennui, et puis que lui voulez vous ? Ne peut-on pas extraire quelque chose de lui ? L’ennui est à l’origine de formidables découvertes, de la création des plus grandes œuvres des plus grands artistes et des autres. Vous croyez vraiment que les gens pressés ont le temps de trouver des formules chimiques, de démontrer des théorèmes de physique ou de mathématiques, d’écrire des romans, d’inventer des nouvelles technologies, d’être heureux, de tomber amoureux ? N’ayez pas peur d’avouer : votre amour est naît de l’ennui. Vous marchez dans la rue, vous croisez des gens (Elsa et Siméon arrivent et jouent la foule), ils vous bousculent, vous fermez les yeux, une idée éclôt en vous, ralentissez sinon elle va prendre froid. Une idée, une idée qui va fleurir dans votre ennui.

SIMEON une voix dans la foule. Je parlais de l’ennui à deux.

LISA. L’ennui à deux est terrible. L’ennui ne se partage pas, on se survit pas à l’ennui de l’autre, il est trop personnel et cache nos plus profond secrets. Mais ici, notre protagoniste est seul, je ne compte pas.

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